Interview


 

Interview Nassau 14/5/2021 23h40.

 

Alors à chaud cher San Damon ça donne quoi ?

Ben, il reste encore du monde. A chaud, je ne dirai pas ça. Cela fait un peu plus d’un an qu’on est sur ce projet incroyable et comme toujours, quand tout est fait, on est...enfin je suis presque dans autre chose.

 

C’est quand même un aboutissement ?

Oui

 

Y avait combien d’invités, un peu plus de 800 ?

Non, d’après la sécurité 650.

 

Moi, ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on vit ce genre de truc dingue à même pas 50 ans, avoir un musée complètement dédié à soi ? Même si vous avez depuis quelques années des œuvres dans différents Musées, comme à Québec, en Belgique, France, Portugal, Luxembourg etc….Mais là c’est à soi ?

A soi, à soi, pas la bicoque (rire). Ce qui est important pour moi, c'est qu'il y a ici, et dans un lieu aussi fou que celui-ci, toutes les facettes de ma création. Tous les domaines y sont représentés.  

 

Combien de mètres carrés d’expo ?

Un peu plus de 800 m² et 1500 m² si on compte le parc extérieur où il est possible de faire des expos temporaires. Pour le musée, je dois dire que je le vis bien. Vous savez, la chance à une priorité essentielle dans ce genre de projet. J’avais, quand j’ai inventé l’Oniroscopisme, eu l’idée saugrenue mais ludique d’établir des étapes. Avoir des œuvres dans différents musées avant 40 ans, fait…..Avoir une œuvre sculpturale sur une place publique à l’étranger, hors de mon pays avant 45 ans, fait….Avoir un Musée comme celui-ci avant mes 50 ans, fait, de justesse, mais fait.

 

La chance ?

L’un de mes premiers collectionneurs, Oscar Bernstein, a été fasciné par les différentes facettes de ma création, photographie, sculpture, littérature et poésie, musicale, danse contemporaine etc….Il a écrit un livre, il y a trois ans sur ces axes. San Damon – Oniroscopisme ou les 32 nuances de la mélancolie. Il se fait que fin 2019, j’étais sur ce projet de Musée à Côme en Italie, mais là on parlait d’un Musée d’état, avec ce que ça comporte de difficultés administratives et les volte-face des opposants politiques etc….      Il était question d’un prix, via un jury, de la photographie etc….La mise en place tournait pour la ville à un investissement d’un million d’euros minimum. La désignation d’un curateur, d’un conservateur…

Enfin une prise de tête sur des détails parfois grotesque. Et voici la chance, l’épidémie nous bloquent en Suisse, mon épouse et moi, chez notre ami Oscar et débarque Brian Wilbanks….Qu’on voit d’ici au bar en train de rire.

Premier jour, ballade, second jour tennis, je vous passe les étapes et deux heures avant qu’il trouve un petit avion pour Paris, je lui parle de Côme, que je vais laisser tomber, ça m’emmerde, on chipote avec des gratte-papiers. Enfin bref, il m’explique qu’il vient de finir la construction d’une énième demeure pour en faire une sorte de temple dédié à la littérature, ce mec complètement fou, et je l’ai vu de mes yeux vu, possède plus de quinze mille livres. Son associé dans l’affaire est décédé trois mois plutôt et il veut absolument garder leur projet vivace. Il connaissait forcément mes œuvres, Oscar en a jusque dans sa salle de bain. On termine la conversation et il me dit, je t’appelle dans deux jours. C’est le genre de conversation qu’on a dans une boîte de nuit qui le lendemain ne tient à plus rien, mais il fait jour et le type est à jeun (rire).

Début de soirée, donc six-sept heures plus tard, il m’appelle : file-moi ton adresse mail, je t’envoie des photos, dis-moi ce que tu en penses. Vers minuit, je reçois les photos de ce que vous voyez ici. Pas trop dur de tomber sous le charme, d’autant que cerise, il est, tout comme moi, direct et me dit : il faut que chacun s’y retrouve….. Si le temps peut se compter en moins d’une seconde on peut dire que j’ai réfléchi (rire). Brian, tout comme Oscar, sont de vrais mécènes, pas des affairistes, mais des hommes d’affaires.

 

La piscine…tu vas en faire quelque chose ?

Figure-toi que j’y ai pensé, parce qu’ici, tu sais avoir une piscine te sert davantage à te tremper les pieds, t’as l’océan à 40 mètres et le Golfe du Mexique sur ta gauche.

Surtout que le voisinage est peuplé de pointures hollywoodiennes, ton voisin direct, Brian t’as dit ?

Oui, mais je ne l’ai pas encore vu et puis ce n’est pas trop mon truc, sauf si les mecs ne se la jouent pas. En 2013, quelques mois avant sa mort j’avais croisé dans un resto à New York, au moment où j’ai fait cette série de photos qui ont, notamment servi pour la série de bijoux, et que tu peux voir un 1er étage, Philip Seymour Hoffman. Il avait vu une série de photos de nus que j’avais faite et il s’est planté devant moi en me disant je suis……j’avais cru décelé un peu d’orgueil suffisant, je m’empresse dire que ce n’est pas le cas, à posteriori, c’était un type tout simplement timide et il avait un peu de difficulté à aborder les gens qu’il ne connaissait pas, bref, je me suis encore plus rapproché de lui, d’autant qu’il était assez petit, je lui ai dit : je suis San Damon. On a tous les deux éclaté de rire et on a passé ¾ d’heure à discuter sur un tabouret à l’entrée du resto.

 

Donc si Alec débarque et qu’il est sympa tout se passera bien ?

(rire) Je sentais bien que ça te démangeait de donner les noms, moi, je suis pour la discrétion, vraiment.

 

Mais c’est foutument vrai, y a aucune photo de toi, nulle part !

Je crois à ce vieil adage…Vivons heureux…..

 

O.k, mais tu sais aussi que c’est un secret de Polichinelle, tout le monde sait que le quartier est infesté, si j’ose dire, de stars et des vraies ? !

Allison m’a expliqué que tout comme elle d’ailleurs, ils en avaient marre de vivre pourchassé en Floride, enfin surtout à Palm Beach, alors ils ont traversé la flotte pour venir ici, c’est vrai que c’est pénard de vraiment pénard.

 

Tu es là depuis longtemps ?

Je suis venu une première fois l’été dernier et là, je suis arrivé y a une semaine

 

Parenthèse, Allison Rosenberg est la conservatrice du San Damon Museum ?

Exact. Grande amie de Brian et tout comme lui une passionnée folle-digue de littérature. Elle parle un espagnol parfait, ce qui ici est utile et heureusement, un très bon français. Ce qui me permet de mélanger de l’Anglais, du mauvais Espagnol, du Portugais, tu sais pourquoi, et un excellent Français quand même.

 

Ce qui donne un potage ?

Un vrai, bon potage (rire)

 

Alors parlons du Musée ? Le Cercle S a impressionné tout le monde, c’est d’ailleurs Allison qui est sur la photo qui sert de référence au site du Musée ?

Eh bien non, c’est la voisine d’en face, t’as pas l’œil, parce qu’elle ne se ressemble pas du tout. Le Cercle S, énorme mise en place, des mois de travail…..Non, je plaisante, quand je suis arrivé l’été dernier, c’est la pièce qui m’a d’abord tapé dans l’œil, je me suis immédiatement dit, il faut en faire quelque chose de surprenant. En fait, c’était l’ancien garage. On a cassé les pierres du bord pour rendre cela plus brute, on a cloisonné les murs et avec la télécommande, wouais, tu tournes tout autour de mes œuvres, l’effet est garanti surtout dans une semi-pénombre. C’est pour ça qu’à l’entrée, ce que tu crois être un garage est la Magenta Box, c’est une dépendance qui vient à peine d’être finie.

 

Je crois que tu as voulu donner des noms, quelque peu étonnant, aux salles ?

Pour qui reste dans un classicisme, oui, sinon je ne trouve pas. Le surnom du San Damon Museum est le « Manoir », et même si j’aborde énormément de discipline dans mon Oniroscopisme, la photographie reste la première d’entre elle. Tu sais ce qu’est une chambre noire ?

 

Eh bien, tu vois, je n’avais pas fait le rapprochement. Attention, je trouve ça, non seulement original, mais en plus fort d’à-propos.

Donc, elles dorment et se laissent regardées dans des chambres. C’est aussi pour ça, comme dans beaucoup de Musées qu’on laisse les salles les plus dépouillées possibles.

 

Dis-moi, la Dream box ?

14 commandes, rien que ce soir. (rire)

Ben, oui, rien à dire d’autres, ça parle de soi-même. Tu rentres dans ces pièces et tu es dans ma création, dans mon Oniroscopisme. Ce qui est génial, c’est que tu peux, via le dimmer, donner des variantes au rendu de mes œuvres, c’est vraiment ce que je voulais. Tu passes de l’opacité à la transparence, 0% - 25% - 50% - 75% - 100%.

 

Et le prix ?

Ca c’est pour des gens comme ton ami Alec !

 

D’autant que c’est orienté vers son jardin (rire)

Bon, laisse tomber ton clavier et va sonner chez lui ? (rire)

 

                                     Brian Wilbanks et Allison Rosenberg nous rejoignent

 

Brian : est-ce que les seconds rôles peuvent se joindre à vous où c’est seulement la star ?

 

Gordon : comment refuser la venue de quelqu’un qui tient à la main une bouteille de champagne.

 

Brian : tu n’es pas obligé de l’écrire, mais c’est fameux succès, faut dire que j’ai passé deux mois à rameuter tout le monde, mais les gens ont envie d’acheter.

 

Allison : on refait tous surface, et le lieu est envoûtant et les œuvres de San Damon ont ici leurs places. San Damon, c’est vraiment un tout. L’oniroscopisme n’est pas seulement des œuvres mais c’est la pensée d’un seul homme.

 

Brian : c’est important aujourd’hui d’avoir, pour faire comprendre une œuvre, même  une seule œuvre, tout un concept de pensée autour, sans blabla et faux-semblant. Juste un artiste hors du commun qui est capable d’une telle prouesse.

 

Allison : il y a un Monsieur qui m’a proposé d’acheter les partitions de la Symphorapsodie Oniroscopiste, il y a pas lieu de vendre ça, mais tu vois, c’est un exemple. Et cela tient au fait, que San Damon, c’est une entité.

 

San : je crois que c’est aussi parce que les gens qui aiment l’art en ont eu plus qu’assez de voir des prétendues œuvres où tu as besoin d’un lexique pour saisir son sens. Il faut évidemment un lexique puisqu’il n’y a rien à en dire.

 

Brian : l’un de mes amis galeristes à New York, m’a dit, il y a déjà 25 ans, moi, je vends des frigos, point barre, des merdes appelées « œuvres » et je fais semblant d’y croire. Des gugusses qui font des collectifs ou des gens qui abondent de partout en criant à qui veux les entendre, notamment sur les réseaux sociaux, la pire chose qui existe, me voici, je suis le nouveau Van Gogh. Ce sont des trucs archi-refaits. Récemment, j’ai encore vu des poubelles renversées dans une « pseudo galerie », symbolisant la société de consommation, des horloges avec des clous qui bloquent les aiguilles pour évoquer le temps. C’est devenu grotesquement enfantin et sans intérêt. Une pissotière renversée en 1919, est une rupture dans l’art, aujourd’hui c’est plagiat ridicule. Et comme il n’y a plus, ou presque plus, de création nouvelle et que tout se vaut et doit être chiffré et bien ils intellectualisent du grand n’importe quoi.                       

Moi, je veux mettre de l’argent dans quelque chose qui avant tout me fait plaisir, qui me rend heureux, venant d’un artiste, non pas d’un animateur de l’art.

 

Allison : A Palm Beach, tous les collectionneurs que je connais et de fameux collectionneurs, des types qui prennent un avion pour se rendre de l’autre côté de la planète pour aller voir un seul tableau, me disent être blasés. Du coup, ils revendent ou ils mettent ces « œuvres » dans des coffres, c’est affligeant et surtout bien dommage. Enfin, ici, on est heureux.

 

Gordon : San, je voudrais te parler de S.O.G. Je vois dans le musée les sculptures de métal et celles de pierre, transposées comme des tableaux ?

 

San : ce que j’aime dans celles en métal, c’est ce qu’elles provoquent à la lumière du jour ou artificiel également.

 

Gordon : leurs ombres !

 

San : leurs ombres. Celle qui est sur un rond-point au Portugal fascine les gens par l’orientation que j’ai décidée. Je me suis planté, là, sur place à différentes heures du jour. Elle joue littéralement avec le soleil, elle lui renvoie le temps qui passe, le temps qui court….si ça ne te rappelle rien.

(Des lettres magenta en 3D sont fixées sur la première marche du Musée « The race of time » - « La course du temps »…Tthème qui est cher à San Damon, tant dans ces œuvres photographiques, sculpturales que musicales et bien-entendu littéraires)

 

Gordon : mais pas seulement le temps caractérisé par les heures, mais aussi celui des saisons.

 

San : forcément, et même, et presque surtout, si j’ose dire, à l’un de mes moments chers de la journée, l’heure bleue, parce que là, SOG, mon Danonaselo, semble partir dans tous les sens à la fois, mais de façon différente. L’alliance entre la lumière du soleil qui s’estompe et celles de la ville qui s’allument nous montre un Danonaselo élégant, allongé dans les fleurs et les plantes qui l’entoure et son jumeau plus massif et court sur un sol bétonné et uniforme.

Gordon : à quelques kilomètres de là, il y a un panneau routier qui indique le lieu où se trouve ta sculpture, ton Danonaselo Hormis le côté rare de la chose, pourquoi peut-on y lire « une œuvre de San et Mélodie Damon » ?

 

San : Parce que Mélodie est mon épouse et que la tête du personnage a été dessinée par elle. Certes, je n’aurai pas exigé qu’on y mette son prénom à côté du mien si ça n’avait été mon épouse, mais l’important, l’essence même de ce qu’est SOG vient aussi de son visage. Il n’a pas de bouche, d’yeux, de nez, l’émotion qu’il suscite, sa direction de mouvement, son, ou ses intentions sont essentiellement dues à l’incurvation de son chapeau qui lui traverse le visage.

C’est le détail qui rend le reste de l’œuvre possible. C’est aussi pour ça, et là je reviens aussi sur la lumière, que j’ai demandé au photographe qui a fait les photos dans le musée de prendre SOG au flash, pas toujours mais aussi, parce que doubler SOG par sa propre ombre lui réfère toute sa particularité.